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Fanny Genetelli, 2005 | Marly, FR

 

Ce travail s’intéresse à la place du bonheur des individus au sein de la société utopique telle que l’humaniste Thomas More l’imagine dans son traité L’Utopie (1516). Sur l’île d’Utopie, l’État, grâce à son pouvoir, assure le bonheur de la communauté. Mais y a-t-il correspondance entre le bonheur communautaire et le bonheur individuel ? Les réflexions menées dans mon travail sont nourries, d’une part, par des œuvres philosophiques – deux théories du contrat social (le Léviathan, 1651, de Thomas Hobbes et le Traité du gouvernement civil, 1690, de John Locke) qui, en étudiant la nature humaine, permettent de définir la relation individu-État la plus adéquate – et, d’autre part, par une œuvre littéraire – le célèbre roman satirique Voyages de Gulliver (1726) qui, en mettant au premier plan un individu, prend en compte la complexité humaine et fait ainsi vaciller l’utopie de More.

Problématique

Thomas More publie L’Utopie en 1516, au moment même où naît une nouvelle conscience de la diversité humaine. Celle-ci pousse à regarder différemment les particularités des individus, qui acquièrent alors un intérêt et une valeur dans différents domaines des arts et de la littérature. Dans ce contexte, l’œuvre de More, complètement centrée sur la communauté, et le bonheur de cette dernière, doit être interrogée du point de vue de l’individu, et de son bonheur. La problématique à laquelle répond ce travail est alors : quelle est la place du bonheur individuel au sein de la société utopique ?

Méthodologie

Après une contextualisation de l’émergence de l’individu à partir de la Renaissance, le travail s’est concentré sur l’analyse des sources primaires, des classiques de la philosophie et de la littérature (tout en prenant appui sur des ouvrages de littérature secondaire de qualité). Ces textes ont été choisis de sorte à rendre compte de la vivacité du débat intellectuel autour de l’organisation idéale des sociétés humaines : une délimitation géographique et historique a alors été nécessaire. L’essai se concentre ainsi sur l’Angleterre des XVIe-XVIIIe siècles. L’approche globale se veut interdisciplinaire : la philosophie et la littérature ont en effet été mises en contact, et cette rencontre fructueuse a mis en lumière les failles d’un grand système de la philosophie pratique.

Résultats

À l’issue de ce travail, il est possible d’affirmer qu’aucune place n’est accordée au bonheur individuel au sein de la société idéale qu’imagine More dans L’Utopie. D’abord, l’étude des théories du contrat social, en clarifiant la relation individu-État, a permis de comprendre que c’est le bonheur communautaire qui est promis aux Hommes par l’État utopique, et non le bonheur individuel. Ce dernier est donc exclu de la réflexion au sujet du bonheur utopique. Ensuite, la compréhension des raisons de l’infélicité de Gulliver au sein de la société des Houyhnhnms – société dont le fonctionnement est analogue à celui de l’île d’Utopie – a révélé que la possibilité même d’un bonheur individuel est exclue par cette forme d’État. Swift dépeint une situation concrète où la conception utopique du bonheur pose problème : pour viser à la perfection du système, l’État utopique va en effet à l’encontre de la nature libre de l’Homme – il réprime les passions, les sentiments, le désir d’aventure, etc. – en le réduisant à la fonction de pièce composant l’engrenage de la parfaite Machine-État.

Discussion

Ce travail permet de rendre compte de l’évolution, en seulement deux siècles, de l’importance de l’individualité dans les réflexions des intellectuels anglais. Afin de rendre les résultats encore plus significatifs et de les nuancer, il aurait été intéressant d’étendre la zone géographique étudiée. Le genre utopique, les théories du contrat ainsi que les romans philosophiques s’épanouissent en effet dans d’autres pays au cours des siècles étudiés, notamment en France. Analyser, par exemple, le contractualisme de Rousseau ou le conte philosophique Candide de Voltaire enrichirait certainement le travail. De plus, une extension historique aurait aussi été passionnante : elle aurait permis de mettre en lumière le désenchantement du genre philosophique de l’utopie, qui glisse alors progressivement vers la littérature, en s’incarnant dans les anti-utopies, puis dans les dystopies.

Conclusions

La lecture de cet essai montre que les utopies, ayant pour texte fondateur L’Utopie de Thomas More, se fixent un objectif inatteignable : la complexité et la diversité des individus rendent impossible l’établissement d’un État qui, grâce à son pouvoir et à son fonctionnement parfait, rend chaque Homme heureux.

 

 

Appréciation de l’expert

Noé Maggetti

Ce travail de maturité s’appuie avec intelligence sur une analyse textuelle, philosophique et historique des sources pour élaborer une vaste réflexion portant sur des grands classiques de la philosophie et de la littérature, tout en soulevant des interrogations très actuelles autour de la notion de bonheur individuel. Dans ce cadre, une argumentation limpide et une rédaction élégante sont mises au service d’un propos réfléchi et étayé par un usage pertinent de la littérature secondaire.

Mention:

très bien

 

 

 

Collège St-Michel, Fribourg
Enseignant: Dr. Stève Bobillier