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Henri Jolliet, 2005 | Bulle, FR

 

Qu’est-ce qui fait que l’on apprécie – ou pas – un personnage historique ? En effet, si certains d’entre eux inspirent l’admiration, d’autres suscitent l’indifférence voire la haine. Une partie des membres de cette dernière catégorie s’écarte des normes sociales attendues – politiques, morales et religieuses. En cela, l’on peut considérer ces personnages comme étant monstrueux au sens aristotélicien d’écart au « cours ordinaire de la nature ». Étant donné le rôle que jouent ces figures, qu’ils soient empereurs, chefs de guerre ou encore politiciens, dans notre compréhension du cours « (extra)-ordinaire » de l’histoire humaine, il devient intéressant d’étudier leur aspect monstrueux d’un point de vue socio-historique.

Problématique

Il s’agit d’étudier les facteurs de la transformation d’un personnage historique en monstre dans l’imaginaire collectif à une époque et un lieu donné, compris comme processus de « monstrualisation ». (I) Qu’ont-ils fait pour s’écarter des normes politiques et sociales de leur époque et à quel point ? (II) Quels sont les facteurs religieux, sociaux, politique et moraux qui influencent notre perception de leur monstruosité ? (III) Qui bénéficie de cette perception ?

Méthodologie

Afin de répondre à cette problématique, nous analysons la monstruosité de deux célèbres figures historiques : Mehmed II et Robespierre. Nous commençons, après les avoir contextualisées dans le temps et l’espace, par décrire leurs actes considérés comme monstrueux ainsi que la perception contemporaine de ces actes. Dans un second temps, nous nuançons leur monstruosité et nous penchons sur ses causes afin de déterminer comment et pourquoi ces derniers font l’objet d’une telle perception. Enfin, nous mettons en commun nos conclusions pour procéder à une discussion sur la compréhension générale du processus de monstrualisation.

Résultats

La perception monstrueuse de nos sujets est causée par des faits établis ; leurs actes étant contraires aux normes sociales d’un contexte donné, elle ne sort pas de nulle part. Toutefois, à ces monstruosités réelles, vient s’ajouter le récit qui en est fait. Ces faits sont souvent exagérés ou tronqués par leurs contemporains en fonction de leur position dans l’espace politique ou géographique. Une deuxième couche de monstruosité est ajoutée à la première ; elle est répandue par des textes, des supports iconographiques et des rumeurs. Ce récit a plusieurs buts : diaboliser un personnage, ses idées ou son héritage, mais aussi se protéger soi-même derrière la figure de quelqu’un que l’on estime pire que nous-même. Au-delà de la déculpabilisation politique individuelle, ce processus répond à divers besoins sociaux, tels que la canalisation de la violence hors du groupe envers un seul individu qui incarne l’altérité – comme c’est le cas avec Mehmed II. Robespierre, lui, devient un pion sur l’échiquier politique de ses contempteurs ou admirateurs. Dans les deux cas, des stratégies sont à l’origine d’une perception véhiculée par diverses sources, dont la diffusion permet l’ancrage de leur monstruosité dans la mémoire historique.

Discussion

Il ne s’agit pas de réhabiliter Mehmed II ou Robespierre, mais de prendre conscience des biais qui influencent l’image que nous en avons, ainsi que des processus sous-jacents à leur construction. La monstrualisation a lieu lors de séquences historiques inaugurant un ordre politique radicalement nouveau : un équilibre moyen-oriental sans l’Empire byzantin pour Mehmed II ; la République pour Robespierre. L’étude se résumant à deux cas, les résultats ne sont toutefois pas représentatifs de la monstruosité en général lorsqu’elle vise par exemple des catégories de population stigmatisées.

Conclusions

Comme l’étude comparée de Mehmed II et Robespierre contient un grand nombre de points communs, il est plausible que d’autres personnages historiques considérés comme monstrueux aient fait l’objet de processus similaires de mises en récit lorsqu’ils se situent dans le bouleversement d’ordres géopolitiques, comme Néron, Napoléon III ou Catherine de Médicis. Ainsi nous pouvons dire qu’on ne naît pas monstre, on le devient d’une part par l’extraordinaireté contemporaine de nos actes ; puis par une mise en récit en fonction des intérêts de leurs auteurs. La monstruosité de ces personnages semble en effet sortir du « cours ordinaire de la nature » tant par les actes commis que par la stratégie de ceux qui écrivent l’histoire.

 

 

Appréciation de l’experte

Lic.Phil Loïse Bilat

Monsieur Jolliet rend deux figures monstrueuses, Mehmed II et Robespierre à leur humanité, par une critique historique comparée solidement documentée. Les sources mobilisées et leur mise en contexte par une littérature secondaire sérieuse montrent en détail le processus social «d’anormalisation» de personnages, qui, de par leur judicieuse position à l’aube et au crépuscule de l’Époque moderne, permettent à des sociétés en crise de redéfinir un nouvel ordre politique et/ou religieux par la cristallisation de la transgression sur une figure individuelle dont l’altérité serait irrémédiable.

Mention:

excellent

Prix spécial «HSG Alumni Deutschland Konferenz» décerné par HSG Alumni

 

 

 

Collège du Sud, Bulle
Enseignante: Evelyne Aeby-Darbellay