Histoire | Géographie | Économie | Société
Noor Cohen, 2004 | Attalens, FR
Mon travail porte sur des divinités archaïques romaines appelées « Indigètes ». Présentes aux débuts de Rome, elles disparaissent rapidement, a priori sans explications, pour resurgir au commencement de l’époque impériale. Convoquant la littérature antique, les sources iconographiques et les travaux d’historien·ne·s spécialistes de l’Antiquité, cette recherche a pour but de mieux définir cette catégorie de divinités et de questionner leur résurgence au tournant de notre ère.
Problématique
Dans ce travail, je me suis intéressée aux nombreuses définitions des Indigètes, qui évoluent de l’antiquité jusqu’à nos jours. Après avoir établi une liste provisoire de certaines de ces divinités liées au temps, je les ai classées selon ma propre logique afin de mettre en évidence une perception possible de la temporalité chez les Romains de l’époque archaïque. J’ai ensuite cherché des traces de ces divinités en me concentrant sur les fêtes religieuses du début de l’Empire. Dans une seconde partie, j’ai axé cette recherche sur les représentations figurées de ces divinités afin d’estimer leur degré d’importance dans le quotidien. Enfin, j’ai essayé de proposer une interprétation de la résurgence de ces divinités archaïques au début de la période impériale.
Méthodologie
Mon travail repose essentiellement sur trois types de sources ; des sources antiques littéraires avec notamment le poète Ovide, des sources iconographiques qui nous sont parvenues grâce à l’archéologie, ainsi que des études restreintes et relativement récentes comme celles de l’historien Georges Dumézil. Les sources les plus anciennes ne font jamais mention explicite des Indigètes, c’est pourquoi j’ai utilisé essentiellement des sources littéraires datant du début de l’Empire. Il est important de signaler ici que ces auteurs antiques se positionnent comme des historiens car les divinités indigètes sont alors méconnues et déjà considérées comme archaïques. De même, les objets mettant en scène des Indigètes datent pour les plus anciens de la fin de la République.
Résultats
Croiser les définitions antiques et modernes m’a permis d’en dégager une nouvelle: les Indigètes sont des divinités anciennes agissant, une fois invoquées, dans des contextes très précis. Le classement de ces divinités permet de mettre en évidence les différents prismes de perception du temps par les Romains que sont les concepts abstraits, l’année romaine, les hauts faits historiques, la vie humaine, avec la grossesse, l’enfance, le mariage, et la mort, ainsi que l’agriculture. Si les divinités qui les représentent disparaissent, ces concepts restent bien ancrés dans la culture romaine. Enfin, en recherchant la trace des Indigètes au travers de l’histoire de Rome – qu’elle soit transmise par la littérature ou par les objets d’art – je me suis aperçue que les figures indigètes sont surtout réutilisées au début de l’époque impériale. Le tournant politique et culturel opéré à cette époque explique en effet le besoin d’un renouveau, que les Romains satisfont soit par l’adoption de nouvelles religions orientales, soit par la réappropriation d’une religion romaine ancienne, dans une volonté de retour aux sources. Ce deuxième choix est d’autant plus attrayant qu’il permet une certaine émancipation intellectuelle du modèle dominant grec, en remettant à l’honneur les traditions romaines.
Discussion
Si le but premier de ce travail était de mieux connaître les Indigètes, une nouvelle orientation a émergé au fur et à mesure de la recherche : celle des raisons pour lesquelles les Indigètes resurgissent dans les arts à l’époque d’Auguste. En effet, j’ai été surprise au cours de mes recherches de constater que les sources les plus anciennes dont disposent les historien·ne·s pour étudier ces divinités archaïques émanent de l’époque impériale. Ainsi, ce travail aura permis de mettre en valeur un aspect très peu étudié à ce jour par le monde académique en matière de sciences des religions de l’Antiquité.
Conclusions
Ce travail m’a permis de mesurer les difficultés que rencontre l’historien·ne en étant confronté·e à des sources rares et peu objectives. Malgré la zone d’ombre autour de ces divinités de l’époque archaïque, j’ai pu découvrir que les Indigètes endossent un rôle qui dépasse leur signification première dans un phénomène qui mériterait une recherche approfondie : la réutilisation de la propre culture oubliée d’un peuple dans une période de crise identitaire.
Appréciation de l’experte
Lorraine Pidoux
Cette étude qui convoque littérature latine et iconographie est consacrée à un pan méconnu de la religion romaine : les Indigètes. Eytmologie et exemples à l’appui, ces divinités sont définies par un panel de propositions antiques et modernes, puis caractérisées par une association au temps. L’échantillon de sources évoquant ces divinités de la Rome archaïque s’inscrit essentiellement dans le début de l’époque impériale, un contexte de renouveau politique et d’expansion géographique propice à une réactivation du passé perçu par les Romains comme un Age d’Or originel.
Mention:
très bien
Collège du Sud, Bulle
Enseignant: Bruno Sudan