Histoire | Géographie | Économie | Société
Nathanaël Mornod, 2001 | Hauteville, FR
L’Antiquité a toujours été un recueil d’exemples marquants où artistes et hommes politiques ont puisé des modèles héroïques et vertueux. Ce phénomène de réception de la culture antique prend une dimension particulièrement intéressante lors de la Révolution française. En rupture avec une monarchie absolue de droit divin et chrétienne, les révolutionnaires cherchent un nouveau système de valeurs. Et c’est dans l’Antiquité qu’ils le trouvent. Une figure, en particulier, les fascine: Brutus. Un nom qui cache deux personnages emblématiques de la République romaine: Lucius Junius Brutus (VI ème siècle av. J.-C.), le fondateur mythique et austère de la République -le révolutionnaire de la Rome antique en quelque sorte-, Marcus Junius Brutus (85-42 av. J.-C.), l’assassin de César. Ce travail analyse la reprise qui en a été faite durant la Révolution française.
Problématique
Quelques recherches ont déjà été menées sur la reprise artistique et culturelle de Brutus. S’il consacre de larges parts à ces aspects, ce travail part d’un questionnement essentiellement politique. Pourquoi et comment ce double personnage en vient-il à être adopté comme modèle par les révolutionnaires? Quel est son impact concret sur la Révolution? Quelles modifications la figure de Brutus subit-elle pendant cette période?
Méthodologie
La première partie du travail étudie les sources antiques pour dresser le portrait des Brutus historiques. La seconde partie est consacrée à leur réception à la période des Lumières et à la Révolution française, en se basant essentiellement sur des sources primaires de toutes sortes: tableaux, pièces de théâtre et même cartes à jouer. Mais l’angle d’approche est surtout politique: la partie majeure de ce travail s’intéresse au procès du roi Louis XVI, jugé à la fin de l’année 1792, à travers une analyse de discours, mais aussi de pamphlets ou autres opinions publiés en marge des débats officiels. Grâce à ces documents, un panorama général des arguments proposés à travers la figure des Brutus a été établi.
Résultats
De l’analyse des sources ressort un vaste processus d’abstraction de la figure des Brutus au cours de la Révolution française. D’abord principalement culturelle et artistique, cette figure entre ensuite dans le domaine politique. Le 1er septembre 1792, un buste de Brutus est même installé à la Convention, où se tiennent tous les débats. Au début du procès du roi, la référence à Brutus est utilisée à des fins argumentatives ou rhétoriques, comme exemplum notamment, mais au fil des discussions elle est vidée peu à peu de toute substance historique, devenant une vague référence mythique, malléable, et qui peut justifier toutes les opinions. Ce renversement amène d’une part à une utilisation de Brutus comme inspirateur d’une «justice sévère», puis de la Terreur. D’autre part, dans un contexte de déchristianisation, la réduction de Brutus à quelques traits flous et grandioses l’amène à devenir une figure mythique, sacralisée. C’est désormais la vénération qui entoure ce «saint» laïc -le tyrannicide-placé sur les autels.
Discussion
Le principal apport de ce travail est sans doute l’analyse précise de l’utilisation des Brutus pendant le jugement du roi, un aspect souvent peu approfondi. Cette analyse a permis en particulier de mettre en évidence un basculement vers l’idéologisation de la figure de Brutus, sa consécration comme une référence religieuse et mythique. Ce travail s’inscrit donc dans le cadre plus large de la création d’une mythologie révolutionnaire: d’autres personnages antiques ont également été adoptés par la Révolution française. Si Brutus apparaît comme le plus important d’entre eux, il serait néanmoins intéressant d’étudier plus précisément ces autres figures.
Conclusions
Ainsi cette recherche, de prime abord extrêmement spécifique, nous éclaire sur de nombreux points de la Révolution française. Elle nous fait pénétrer dans les débats de cette époque tourmentée et permet de mieux comprendre le renversement vers la Terreur et la religion républicaine. Elle met aussi en évidence la formidable permanence de l’Antiquité qui, en fonction des idéologies et des mentalités, est reprise et instrumentalisée. Il est passionnant de voir que de nombreux personnages historiques se sont eux-mêmes appuyés sur un modèle, créant ainsi un réseau de filiation à travers l’Histoire. Napoléon adulait Alexandre le Grand. Les révolutionnaires français s’en remettent à Brutus.
Appréciation de l’experte
Dr. Nathalie Dahn-Singh
L’auteur a relevé avec brio le défi d’aborder la Révolution française sous un angle original : la réception de la figure de(s) Brutus. Il a mené des recherches approfondies sur plusieurs périodes historiques, mobilisant un large éventail de sources et démontrant sa maîtrise de la bibliographie. Il a utilisé à bon escient la notion d’exemplum, et il a fait preuve de rigueur, d’initiative et d’une remarquable curiosité scientifique. Rédigé d’une très belle plume, ce travail interdisciplinaire offre un riche éclairage sur la période révolutionnaire et ses références culturelles et politiques.
Mention:
excellent
Collège du Sud, Bulle
Enseignant: Bruno Sudan